La longue et difficile marche des femmes vers l'industrie

La part des femmes dans l'industrie n'atteint même pas les 30%, selon l'Insee. Peinant à évoluer, le chiffre cache de grandes disparités selon les secteurs et le type de postes qu'elles occupent. La faute à des stéréotypes bien ancrés depuis l'école et qui détournent les filles des études menant aux nombreux métiers de l'industrie. Pour tenter de renforcer leur présence dans les entreprises de l'industrie, ces dernières se mobilisent aux côtés des associations.
Coline Vazquez
Une femme dans un atelier de la marque Hermès en 2013 (Photo d'illustration).
Une femme dans un atelier de la marque Hermès en 2013 (Photo d'illustration). (Crédits : REUTERS/Benoit Tessier)

L'égalité entre les femmes et les hommes est devenue l'une des grandes causes des deux quinquennats d'Emmanuel Macron. Il reste toutefois bien des domaines où cet objectif est loin d'être atteint. À commencer par le monde professionnel, et notamment dans l'industrie. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la part des femmes dans ce secteur n'atteint que 28,5%, selon une étude de l'Insee datant de février 2022. Or, ce chiffre stagne depuis une dizaine d'années.

Lire aussiEgalité entre les femmes et les hommes au travail : la France est-elle bien classée en Europe ?

Cette sous-représentation des femmes est visible au sein de tous les corps de métiers, mais elle est davantage marquée chez les postes de techniciens, mécaniciens ou encore opérateurs que chez les ingénieurs. À l'inverse, les femmes sont plus largement représentées parmi les fonctions support (ressources humaines, communication, marketing...). Et, sans surprise, elles sont, comme dans bien d'autres secteurs, peu présentes dans les fonctions de direction (environ 15% des comités exécutifs).

Des disparités selon les secteurs et les fonctions

Il y a, en outre, « de grandes disparités selon les secteurs industriels », témoigne Nicolas Gros, directeur d'Airemploi, association spécialisée dans le conseil et l'orientation dans les métiers de la construction aéronautique et spatiale, le transport aérien et l'aéroportuaire. Le secteur peine justement à recruter des candidates pour grossir ses rangs.

« Dans la construction aéronautique et spatiale, il y a 25% de femmes chez les ingénieurs et cadres. Un chiffre qui chute à 16% pour les opérateurs et techniciens d'ateliers », pointe-t-il, citant des chiffres du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS).

Lire aussiTaux d'emploi des femmes : une stagnation après plusieurs décennies de forte progression

Des choix opérés durant les études

Lors de leurs études,« les filles choisissent davantage des domaines qui se rapprochent du soin au sens large, comme le médical, la biologie, la chimie ou encore l'environnement », explique Aline Aubertin, directrice générale de l'école d'ingénieurs, ISEP, spécialisée dans le numérique.

« Et souvent, ce sont les domaines où l'on trouve le plus de femmes qui offrent les salaires les moins élevés, ce qui explique que les ingénieures soient un peu moins rémunérées que les hommes exerçant le même métier », pointe la présidente de l'association Femmes ingénieures.

En témoignent les réponses données par des ingénieurs, étudiants et élèves des deux sexes, lors d'une étude réalisée en 2016 par l'association Elles Bougent. À la question portant sur les secteurs dans lesquels les élèves aimeraient travailler au sein de l'industrie, 19% des filles étaient intéressées par le secteur médical, paramédical... contre 4% pour les garçons.

De même, pour le luxe (10% pour les filles, 1% pour les garçons) ou encore les médias (10% pour les filles, 4% pour les garçons). À l'inverse, seules 2% des jeunes femmes ont déclaré qu'elles aimeraient travailler dans le secteur de l'automobile... contre 9% pour les garçons. Ils étaient 14% à se dire intéressés par l'aéronautique et le spatial, contre 8% pour les filles.

Lire aussiEntreprenariat : pourquoi les femmes sont-elles moins présentes ?

Des stéréotypes... dès l'école primaire

Une fois le constat dressé, reste à en expliquer la cause. Aline Aubertin pointe la faute des stéréotypes... visibles dès l'école primaire. « Ils sont partout, notamment dans les livres d'écoles, et même dans les problèmes qu'on donne à résoudre aux enfants », alerte l'ancienne directrice des achats GE Healthcare. D'autant que les métiers de l'industrie restent peu abordés dans l'éducation. Or, « les filles ont plus besoin que les garçons de se projeter dans quelque chose de concret », signale-t-elle.

« L'industrie n'a pas forcément très bonne presse dans notre pays. Beaucoup de gens ont encore une vision ancienne, qui s'accompagne de préjugés et ils sont peut-être encore plus renforcés chez les jeunes filles et femmes qui ne se posent même pas la question de choisir cette voie, alors qu'il y a des carrières extraordinaires », abonde Nicolas Gros, directeur d'Airemploi.

Pour remédier à ce déficit de notoriété, nombreuses sont les entreprises de l'industrie et les associations à intervenir au sein même des collèges et des lycées. Objectif, susciter des vocations. Créée en 2005 par Marie-Sophie Pawlak, l'association Elles Bougent est l'une d'elles. Son ambition est d'offrir aux élèves et étudiantes des modèles pour les encourager à embrasser des carrières dans tous les domaines de l'industrie. À ses débuts, l'association ne s'adressait qu'aux lycéennes et élèves des écoles d'ingénieurs.

Associations et entreprises sur le pont

Elle a ensuite élargi son champ d'action aux lycées « pour inciter les élèves filles à continuer de faire des mathématiques et de la science. Mais on s'est rendu compte qu'il fallait agir dès le collège », explique sa directrice générale, Amel Kefif. Depuis novembre 2021, l'association expérimente même des rencontres dans les classes de primaires, intervenant ainsi auprès des plus jeunes sur la mixité des métiers.

Lire aussiRéforme du lycée professionnel : Macron annonce un milliard d'euros d'investissement par an

Au-delà de l'image archaïque qui peut, parfois, être accolée à l'industrie et aux stéréotypes de genre qui persistent, Amel Kefif alerte sur une récente évolution lourde de conséquences selon elle. En 2019, la réforme du baccalauréat a fait disparaître les filières économique et sociale (ES), littéraire (L), et scientifiques (S) au profit d'options.

« Cette réforme censée donner sa chance à tout le monde, et casser le côté élitiste du bac S, n'a fait que renforcer l'inégalité entre filles et garçons », déplore-t-elle, rappelant qu'« en 2019, nous étions parvenus à une quasi-parité en terminale S. On pouvait donc s'adresser à plus de filles et les guider vers des métiers qu'elles ne connaissent pas dont ceux de l'industrie ».

Citant les conclusions d'une étude du collectif Maths&Sciences, parue en octobre 2022, qui rassemble des associations de professeurs du second degré pour la promotion des femmes dans les formations et carrières scientifiques et numériques, elle alerte sur la baisse de 62% du nombre de filles à profil scientifique suivant six heures de mathématiques ou plus en terminale entre 2019 et 2021. À titre de comparaison, la proportion d'élèves filles en dernière année de lycée est restée stable (56%).

Lire aussiJournée des droits des femmes : « Les femmes doivent devenir des sujets économiques autonomes » (Marie-Pierre Rixain)

Une mixité essentielle pour les entreprises

Résultat, les femmes sont bien moins présentes que les hommes dans les cursus de formation menant aux métiers de l'industrie. De facto, elles sont moins nombreuses parmi les candidatures reçues par les entreprises, dans un contexte marqué par la pénurie et la guerre des talents.

Pourtant, le constat est unanime : une prise de conscience au sein même des entreprises s'est amorcée depuis plusieurs années. En témoigne l'initiative lancée en 2009 par Airemploi, baptisée « Féminisons les métiers de l'aéronautique », avec la création d'un concours national, dont l'objectif est de susciter des vocations professionnelles dans ce domaine auprès de collégiennes et lycéennes.

« En 2021, se retournant sur presque dix années de concours, nous avons constaté que les chiffres n'évoluaient pas tellement et nous avons décidé de proposer aux industriels et institutions intéressés une charte afin d'unifier leurs efforts de manière assez concrète », indique Nicolas Gros, son directeur général, se réjouissant d'avoir eu un grand nombre de réponses positives.

Parmi les actions menées : la création d'un observatoire des métiers à féminiser, des visites des entreprises dans les collèges et lycées ou encore, la participation à des forums professionnels et événements comme au salon du Bourget, cette année, où « des représentantes de différentes entreprises ont accueilli du public et montré aux jeunes filles et femmes que c'est possible de devenir mécaniciennes ou ingénieure aéronautique », se félicite le directeur général d'Airemploi.

« Beaucoup d'efforts ont été faits, se réjouit Aline Albertin, car les entreprises ont compris que la diversité est source de richesse. 50% de leurs clients sont des clientes, elles ne peuvent donc pas compter que sur un même profil au sein de leurs équipes ».

À titre d'exemple, elle se remémore la conception d'un mammographe, utilisé pour réaliser des radiographies du sein, au sein de son ancienne entreprise. « Les femmes présentes au sein de l'équipe de conception ont souligné le fait que l'appareil serait majoritairement utilisé par des opératrices, et non des hommes, et qu'elles ne pourraient pas porter à plusieurs reprises dans leur journée un objet de dix kilos. Si le mammographe avait été développé uniquement par des hommes, ils n'y auraient peut-être pas pensé, raconte-t-elle.

« C'est certain, les équipes dans lesquelles il y a le plus de mixité sont plus efficaces en termes de complémentarité, de créativité, d'ambiance de travail. C'est un constat assez unanimement partagé chez les industriels », abonde Nicolas Gros.

Une législation contraignante

Conscientes de la nécessité de compter un plus grand nombre de femmes parmi leurs salariés, les entreprises de l'industrie en sont, en outre, contraintes par la loi. La législation dite Copé-Zimmermann adoptée en 2011 impose des quotas de femmes dans les conseils d'administration et de surveillance. Elle a été suivie par la loi Rixain qui crée une obligation de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes des grandes entreprises, accompagnée d'une obligation de transparence en la matière. Or, « si les entreprises veulent, demain, avoir des femmes dans leurs instances dirigeantes, il faut qu'elles soient présentes à tous les niveaux », conclut Aline Aubertin.

Lire aussiLa France championne de l'égalité hommes-femmes dans les grandes entreprises, selon une étude

L'État a également mis en place plusieurs initiatives dont la création, en mars 2019, du Conseil de la mixité et de l'égalité professionnelle dans l'industrie (CNI). Celui-ci a pour objectif de mettre en œuvre un programme d'actions concrètes afin d'augmenter le nombre de femmes dans l'industrie, faciliter leur accès à des fonctions de responsabilité, ainsi qu'à des fonctions opérationnelles et de R&D, où elles sont statistiquement peu représentées.

Dans ce cadre, un plan d'action élaboré par le CNI a été présenté le 11 octobre de la même année. Il est articulé autour de trois axes : l'éducation, l'orientation et la gestion des carrières. En parallèle, Agnès Pannier-Runacher, alors ministre chargée de l'Industrie, a lancé le Grand Défi IndustriElles pour constituer, en un an, un collectif d'au moins 1.000 femmes impliquées dans la mise en œuvre de ces différentes actions. Relancée le 8 mars 2023 par le ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure, l'initiative est devenue le collectif IndustriELLES avec davantage de femmes, mais aussi d'hommes, « techncien(nes) ou cadres supérieur(e)s, sur tout le territoire national, afin de devenir porte-parole dans les médias ou sur les réseaux sociaux, de devenir mentors auprès de jeunes filles, ou de contribuer au partage de bonnes pratiques en matière de mixité femme / homme ».

Autant d'actions qui répondent également à une nécessité tant l'industrie peine à recruter. « Ce n'est pas juste un enjeu d'égalité femme-homme », confirme Aline Aubertin. Et de conclure : « L'industrie manque chaque année d'environ 10.000 ingénieurs. Si on veut alimenter le secteur en talents, on ne peut pas compter que sur les hommes. On n'a plus le choix ».

Coline Vazquez

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 8
à écrit le 12/07/2023 à 14:12
Signaler
Pas très ergonomique le poste de travail de la madame à croire qu'Hermes n'a pas les moyens de lui offrir de bonnes conditions de travail !!!

à écrit le 12/07/2023 à 11:58
Signaler
les femmes sont plus intelligentes que les hommes. pourquoi faire ingenieur alors qu on peut faire medecin et gagner 50 % de plus en travaillant 4 j par semaine. Si vous faites pas d etudes, il faut mieux travailler a la DRH dans un bureau que dans l...

à écrit le 12/07/2023 à 11:27
Signaler
C'estvrai plus d'homme que de femmes dans l'industrie ? Mais plus d'etudiants masculins que de etudiantes dans les ecoles d'ingénieurs en France alors que c'est moins le cas dans les ecoles de commerce ou administrations ou service de santé ? Moi j'a...

à écrit le 12/07/2023 à 11:27
Signaler
C'estvrai plus d'homme que de femmes dans l'industrie ? Mais plus d'etudiants masculins que de etudiantes dans les ecoles d'ingénieurs en France alors que c'est moins le cas dans les ecoles de commerce ou administrations ou service de santé ? Moi j'a...

à écrit le 11/07/2023 à 13:21
Signaler
La question qui se pose est : "N'est elle pas exploiter pour rabaisser les salaires ?"

le 11/07/2023 à 23:13
Signaler
Dans notre société elles sont pourtant majoritairement aux postes de responsabilités...

à écrit le 11/07/2023 à 12:16
Signaler
Certes, mais "Qui va garder les gosses" selon la célèbre formule?'🤣

à écrit le 11/07/2023 à 10:58
Signaler
Pour se faire concurrencer par un moldave à 300 balles par mois, c'est vrai ça donne vachement envie...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.